Le vent lui en voulait. Il le traquait, grattant les vitres pour tenter de passer au-travers et venir le chercher. D’ordinaire, ça n’arrivait jamais. D’ailleurs, ce soir-là, plus rien n’allait. Les monstres sous son lit se déchaînaient, martelant les lattes de celui-ci à en faire sursauter Luciano. Le gamin était recroquevillé, ses petits yeux bouffis par la fatigue scrutant l’obscurité. La couverture remontée jusqu’au-dessus du nez, il appela.
« Victor ? ». Et là, le drame. Un silence lourd, profond, pesant. Quelque chose clochait. Quelque chose était arrivé à son grand-frère. Jamais Victor ne l’aurait laissé tout seul, jamais il n’aurait pu ne pas lui répondre. D’un bond, le gosse sauta de son lit et tituba jusqu’à la porte. Sous le lit, les affreux rampaient à toute vitesse pour l’attraper. Luciano n’avait plus peur. C’était la colère qui l’animait désormais. Victor était le plus grand des deux et généralement, c’était lui qui protégeait son frère. Sauf que cette fois, si les monstres nocturnes s’étaient attaqués à son aîné, Luciano sortirait les crocs.
L’enfant avança dans le noir, percutant un meuble dans le couloir au passage et s’excusant auprès de celui-ci. Il ouvrit alors timidement la porte entrouverte de la chambre de son frère. C’était de sa faute si Victor devait dormir la porte légèrement ouverte. S’il ne le faisait pas, Luciano n’arrivait pas à dormir. Se savoir protégé lui était nécessaire pour pouvoir sombrer dans l’inconscience. Le gamin posa le regard sur le lit de Victor et soudain, tout s’éclaira.
Victor était parti. Il dormait chez un ami, l’un de leurs voisins. Voilà qui expliquait pourquoi il n’avait pas répondu. Luciano entra dans la chambre de son aîné et alla prendre sa place dans son lit, se noyant sous les grosses couvertures. Le sommeil le gagna peu à peu, les monstres ne pouvaient pas entrer dans la chambre de Victor. Et tandis que Luciano sombrait, une petite lumière s’agita sous ses yeux. Il distingua la silhouette familière de sa mère, elle s’assit sur le rebord du lit et caressa tendrement ses cheveux.
« Tu n’arrives pas à dormir sans Victor dans la maison ? ». Luciano secoua la tête. Cela fit sourire sa mère.
« Dors mon chéri, demain quand tu te réveilleras, il sera rentré ». Son front fut embrassé délicatement et aussitôt, le gamin s’endormit.
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Elle fut une évidence. Ava. Deux ans de moins que lui, nouvelle à Ilvermony et pourtant, elle effaça tout le reste. Jusqu’à présent, Luciano était un garçon discret, drôle et très impliqué dans ses études. Dès qu’il croisa la route de la demoiselle, tout changea. Le sorcier ne parvenait plus à se concentrer correctement sur ses parchemins à écrire, elle était toujours quelque part dans sa tête. Ce n’était pas seulement son accent, son sourire, ses yeux, son rire. C’était plus que physique. Quand elle était dans la pièce, Luciano se sentait à la fois terriblement mal et terriblement bien. Il aurait tout donné pour qu’elle ne lui lance un regard et paradoxalement, avait envie de s’enfuir dès que ses yeux tournaient dans sa direction.
Ava, elle faisait partie d’un programme d’échange scolaire. A la base, elle devait étudier à Castelobruxo, l’école de magie située en Amérique du Sud. Luciano ne savait pas pourquoi ni comment elle s’était retrouvée à Ilvermony mais il en remerciait le destin. Ava, elle était la première fille à lui arracher le cœur, elle était toute première à le mettre dans cet état. Avant elle, Luciano ne croyait même pas en l’amour. Pouvait-on seulement ressentir de telles choses comme le décrivaient les autres ? Eh bien oui. Avec Ava.
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« Ne fais pas ça. Arrête. Ava. Arrête ». Comme d’habitude, elle ne l’écouta pas le moins du monde. Comme d’habitude, elle n’en fit qu’à sa tête. L’assiette se brisa contre le mur, se répandant en millions de petits morceaux sur le sol. Luciano secoua la tête négativement.
« T’es fière ? Ça t’a soulagée ? ». Elle lui hurla que oui et en attrapa une autre qu’elle envoya aussi se briser contre le mur. Le sorcier poussa un lourd soupire et se détourna. Le malheureux. Lui tourner le dos, à elle. Ava se rua dans sa direction, lui beuglant des mots de colère. Des mots blessants, des mots violents. Des mots qu’elle regretterait dès qu’ils auraient franchis ses lèvres.
Quand Luciano se retourna, le visage livide et décomposé, elle réalisa. Elle réalisa qu’elle était allée trop loin. Qu’elle avait touché à la seule chose qu’elle n’avait pas le droit d’abîmer. Leur amour. Cette chose si sincère, si franche qu’ils s’étaient offerts depuis des années. Brusquement, Ava éclata en larmes. Elle s’en voulait, elle regrettait et ne pensait pas un seul mot de ce qu’elle venait de lui dire. La main de Luciano vint prendre celle de sa femme, il caressa ses phalanges et fit tourner son alliance autour de son doigt en souriant.
« Je t’aime Ava. Je t’aime comme j’aimerais jamais personne d’autre ». Leurs lèvres scellèrent ces quelques mots. Naturellement, la paume de Luciano descendit vers le ventre de sa femme. Un ventre arrondi, un ventre tendu contre le tissu de ses vêtements. L’homme caressa tendrement la joue d’Ava de sa main libre. Elle paniquait. Dans quelques semaines, elle allait devenir maman pour la première fois et ça la terrorisait. Alors, elle s’en prenait à celui qui pouvait encaisser, à celui qui serait toujours là pour la soutenir. Car rien ni personne ne les séparerait jamais.
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La veille, ils s’étaient encore disputés au sujet du travail de Luciano. Ava s’inquiétait. Elle trouvait ça trop dangereux, beaucoup trop à vrai dire. Aujourd’hui, tout ça était loin derrière eux. Tellement loin, devenu totalement insignifiant. Aujourd’hui, ils devaient faire face à un élément nouveau. Une chose à laquelle ni l’un ni l’autre n’était préparé. Ils étaient devenus parents, ils avaient vu grandir leur premier enfant. Très vite, ils en avaient accueillis un second. Puis un troisième. Puis un quatrième. Et même, à la surprise générale, un cinquième venant clôturer la marche. Et si tout cela avait amené son lot de surprises et d’aventures au quotidien, Luciano et Ava n’auraient jamais imaginés se retrouver un jour à en passer par l’étape du jour.
Ce fut Luciano qui s’avança vers sa fille, la première fille de la fratrie mais la deuxième enfant après son frère aîné. Venant s’asseoir à côté d’elle, l’homme ne put s’empêcher de la chatouiller pour l’entendre rire. Ava lui lança un regard sérieux, lui rappelant la mission affreusement délicate. Le père de famille cessa donc ses pitreries et capta l’attention de sa fille.
« Ecoute ma puce, maman et moi, on voudrait te parler de magie ». Aussitôt, Ava vint s’asseoir à leurs côtés sur le canapé et s’empara d’une main de son mari et d’une autre de sa fille.
« Voilà, on ne savait pas trop comment te l’annoncer mais la meilleure façon est probablement d’y aller directement. Tu n’as pas de pouvoirs magiques, ma chérie ».
Silence. Regard insistant. Luciano sentait son cœur battre la chamade, tambourinant contre son torse. Allait-elle se mettre à pleurer ? A hurler ? A les blâmer de ne pas lui avoir transmis les bons gènes ? La jeune fille les fixa tour à tour, sans un mot. Son visage exprimait sa déception pourtant, elle répliqua :
« Ce n’est pas grave. Je peux vivre sans ». Luciano l’attira contre lui, l’enlaçant tendrement tandis qu’Ava venait se joindre au câlin collectif.
« On t’aime ma puce ». A présent, son visage était à nouveau radieux.
« Je vous aime aussi ».
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« NON ! ». Ava débarqua dans la chambre, les cheveux en bataille sur sa tête, le regard furieux et les lèvres tremblantes. Luciano se redressa sur les coudes, à peine conscient de ce qu’il se passait. Sa femme s’approcha et le fusilla du regard.
« NON ». Le sorcier secoua la tête, cherchant à comprendre.
« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? ». Ava se laissa littéralement tomber sur le lit, s’attrapant la tête à deux mains. Luciano vint l’entourer de ses bras mais elle le repoussa sans vergogne. Cela n’arrivait jamais. Sa femme ne le rejetait jamais de la sorte. Quelque chose allait très mal.
« On ne peut pas faire ça Luci ... On a les enfants, on a notre travail respectif. Et puis y a cette folle-là qui prétend être de la famille de Grindelwald ... et ... et ... ». Elle s’effondra, pleurant à chaudes larmes. Luciano tenta une nouvelle approche, cette fois, elle se laissa enlacer.
« Tu me dis ce qu’il se passe maintenant ? ». Ava inspira profondément et acquiesça d’un hochement de tête. Son regard embué de larmes percuta celui de Luciano et elle bredouilla :
« Je suis enceinte ».