Promesse || Polar

Regard vide, sur le parc qui à cette heure-ci ne voit pas grande âme qui vive en son sein. Et le chien qui tire sur la laisse, qui veut aller se vautrer dans un coin d'herbe, qui lui fait tendre le bras alors qu'elle n'y met aucune force particulière pour lui résister, à l'animal têtu. Alors elle baisse finalement les yeux, pourrait jurer qu'elle va pour laisser un soupir passer la barrière des lèvres avant de finalement le ravaler. La lassitude est une denrée qu'elle ne distille pas si facilement et puis, elle ne peut faire tel affront à l'animal. Alors finalement, quand ils ne sont plus que tout les deux, débarrassés du reste du monde pour un moment, elle le déleste de la laisse, regarde le collier circuler librement sur l'encolure et lui dit d'aller s'amuser. Et commence alors ce balais qu'elle va regarder, assise désormais sur un banc. Le sac serré contre elle, l'air lointaine, un léger sourire qui habille les recoins de la bouche en voyant l'animal batifoler avec un carré de terre, y planter la truffe avec allégresse. Et ça retombe déjà, moment trop fugace qu'elle ne voit même pas exister elle-même. Pourquoi n'y a-t-il jamais de miroir là quand il faudrait ? Les doigts caressent doucement le cuir, avant qu'elle se laisse un peu plus glisser contre l'assise, pour sortir de la besace un carnet gribouillé tant de fois, des traits qui parfois ne trouvent jamais de fin, des pages manquantes qui ont atterri dans un recoin de la chambre, jeté dans un geste rempli d'une rage sourde qui, bien assez vite, n'a plus même la force d'exister pour tenter de hurler une seconde encore.

Et aujourd'hui, elle baisse les yeux sur une nouvelle page vide, y trouve toujours un intérêt vivace, comme si finalement il y avait bien un miroir dans ce parc. Bouche close, le critérium est sorti pour qu'elle puisse se lancer. Et elle esquisse les contours de son obsession, ne s'aventure pas encore sur d'autres domaines. Elle connaît parfaitement la forme, à présent, d'avoir tant de fois représenté celle-ci. Et elle fait ce détail particulier qu'est l'ombre qui se trouve au sein de la tour, le soleil dévorant les pans externes de la scène. Et vient alors le moment délicat où il faut se rappeler du reste, où la mémoire joue de ses vilaines habitudes, ne lui laissent jamais se rappeler du nombre exact de fenêtre. Elle se souvient des creux par endroits, mais où précisément ? Le crayon s'étale un peu plus, fait grossir les traits et la colère qui sommeille quelque part, de se savoir si incompétente. En résulte une grande frustration et finalement, elle ne fait que fixer la feuille et le bout de ses doigts noircis, à force de frotter pour renforcer l'ombrage et le rendre plus lisse. Et finalement, il n'y a qu'un long soupir alors qu'elle pose le critérium par-dessus le brouillon, relève les yeux vers le chien qui s'ébat toujours avec dame nature, courant après un des écureuils habitant les lieux. Et Clarice songe, que trop, à ce qui manque à cette tour pour être comme dans ce rêve qu'elle imagine comme un souvenir, parce que ça la rassure de croire que son esprit n'avait pas tout effacé un bout jour. Piètre enfant qui court après les illusions. Qu'est-ce qu'il peut manquer... Qu'elle marmonne pour elle-même, perdue derrière un voile qui la sépare du reste du monde.
Mais ça, c'est depuis toujours.

Il manquera toujours quelque chose.
Et la coupable de ce crime n'est
autre que que toi-même, Lucy.

@lucy hesse
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Il ne devrait pas être là.

Il devrait être chez lui, à s’occuper de ses affaires, de sa vie. Son pub, ses amis, ses soeurs. Devrait être partout sauf ici, à chercher des fantômes, à scruter les ombres pour un réconfort qui n’existe pas. C’est ce qu’elle lui avait demandé, Lucy, quand elle avait écrit sa lettre. Continuer sa vie. Faire sa vie, sans elle. Il le faisait, tous les jours. S’efforçait à avancer, à continuer d’exister, même si elle n’était plus à ses côtés. Et la plupart du temps, il y parvenait. Avait bien des choses à s’occuper. Le pub comme seconde chance, une possibilité de faire sa vie, de retrouver pied après la chute libre. Il y parvenait, Polar. Parvenait à continuer sans elle. La plupart du temps. Dès qu’il se glissait dans son lit, il se rappelait qu’elle n’était plus là. Dès qu’il mangeait chez lui. Dès qu’il sortait prendre un peu d’air. Une présence fantôme à ses côtés, d’une Lucy qui n’était plus là, d’une Lucy qui ne le serait plus jamais.

Il ne devrait pas etre là mais il l’était. Cette période de l’année trop compliquée pour faire semblant. Le poids sur les épaules trop lourd, qui lui faisait traîner des pieds et oublier qu’il avait des responsabilités. Des années depuis la perte, et pourtant, ça faisait toujours aussi mal. Alors il s’était laissé tenter, Polar, par la possibilité d’aller la retrouver. D’aller la voir, juste pour la regarder, et se rappeler de la vie qu’ils avaient eu. Il n’y avait pas de mal à ça, non ? C’était comme regarder des vieilles photos, ou rêver à ceux qu’on avait perdu. Il n’allait pas lui parler. Juste l’observer. Et il la trouve, la belle Lucy. Les cheveux de soie, et le regard chocolaté. Elle est belle à en crever, à se promener dans le parc, le chien à ses côtés. Ça lui serre le coeur, à Polar, jusqu’à en saigner. Pas de sortilège pour se cacher, pas besoin, elle ne va pas te reconnaître.

Lucy.
Ta Lucy.
Qui ne se rappellera jamais de toi.

Il s’approche un peu. Juste pour glisser un oeil sur la page qu’elle est en train de couvrir de ses traits. Douée, Lucy. Bien sûr qu’elle l’est. Et ça lui serre les tripes, Polar, de voir le dessin qui trouve là, sur le papier. Ça lui donne envie de hurler autant que de sourire. Poudlard. Tu te souviens de Poudlard.

Peut-être que c’est pas trop tard.

« Qu’est-ce qu’il peut manquer… » Son murmure, qui glisse dans la brise jusqu’à Polar, qui l’attrape au vol. Et il sait qu’il ne devrait pas. Qu’il ne devrait même pas être là. Mais il perd la tête, à la voir là. À la voir dessiner Poudlard. À espérer que tout n’est peut-être pas perdu. Ne fais pas ça, Polar. Ne le fais pas. « Une fenêtre. » C’est trop tard. Le mot lui a échappé. Il s’approche un peu plus, sourire aux lèvres. S’assied à ses côtés, pour pointer un coin de la tour esquissée. « Il manque une fenêtre, là. » Il n’ose pas relever les yeux vers elle. La poitrine enflammée, et le coeur qui déraille. Lucy. Si tu savais comment tu me manques. Comment t’as pu me faire ça ? Nous faire ça ? « Vous êtes douée. » Qu’il lui dit avec un petit sourire, sans être capable de la regarder. Pourquoi j’dois te parler comme à une étrangère, alors que mon coeur a jamais battu que pour toi ?

Un léger sursaut, quand la voix se fait entendre. Elle tourne la tête vers, l'insolente presque, quand on songe à ce qu'elle a pu faire. Ne devait-elle plus jamais le regarder, cet homme ? Clarice ignore tout du mal qu'a pu faire celle qui lui a donné naissance. Elle ne peut que voir l'homme comme si c'était la première fois, l'interroger du regard avant de suivre le doigt des yeux, de voir où il désigne la fenêtre manquante. Elle ne dit rien de prime abord, observe juste et sent que ça s'agite, tout en elle, reprenant le critérium avec curiosité, juste pour y faire figurer la fenêtre en quelques coups charbonneux, avant de relever la tête et observer le tableau ainsi complété. Et enfin, ses lèvres se délient. Merci... Qu'elle souffle du bout des lèvres, avec réserve, encore happée par cette tour qui semble enfin trouver sa pleine beauté. Alors finalement, elle tourne de nouveau la tête vers lui, pour l'observer cet inconnu qui est venu à sa rescousse, reconstituant le puzzle d'une dernière pièce qu'elle ne s'attendait plus à voir. Douée, elle ? Bien sûr que non. Alors elle secoue doucement la tête, revient ainsi mettre en place une mèche qui décide de se faire la malle dans le même temps. Je ne sais dessiner que cette tour... Elle ne tente pas d'étouffer un quelconque talent de manière modeste, Clarice. C'est juste purement la vérité et elle lui écorche un peu la bouche, quelque part. Comme l'aveu d'un semi-échec, parce qu'elle ne savait même pas comment la compléter. Le sourire l'intrigue, le fait qu'il n'ose pas la regarder non plus. Mais cela lui va, à celle qui ne veut jamais être vue. C'est mieux ainsi, que ça semble murmurer tout en elle. Alors elle en revient à cette fenêtre qui, désormais le voile levé, semble reprendre forme dans son esprit. Quelques coups de crayons encore, hésitants, avant d'être plus francs quand elle se rappelle. Oui, il a raison, elle est bien là. Elle se mordille la lèvre, avant d'oser parler encore. Comment... ? La question se perd alors qu'elle semble réfléchir plus en amont, le critérium qui cesse de s'agiter, avant qu'elle ne relève les prunelles vers le chien qui aboie contre un autre écureuil encore. ... Comment savez-vous, pour cette fenêtre... ? L'interrogation se complète, en accord avec ces pensées, pour cette tour de ce château qu'elle n'a pas encore su trouver dans les livres. Ce n'est pas les bons où tu cherches, Clarice. J'ai eu beau chercher... Elle commence encore une phrase qui reste en suspens, parce qu'elle sent que ça lui pourfend le coeur sur l'instant. Alors la femme se tait, pour cesser tout de suite ce sentiment, pour ordonner au palpitant de cesser de saigner inutilement. Pas d’apitoiement, fichu organe ! Mais elle a beau vouloir que tout s'arrête, ça ne marche pas. La dépression est une ombre qui jamais ne cesse de vous écraser.

Douce ironie,
d'avoir tant
voulu la fuir.

@lucy hesse
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Il a sauté, corps suspendu au-dessus du vide en attendant la chute. Il n’aurait pas du et il le sait. Tout ça est une mauvaise idée, une affreuse idée, d’être là, de l’approcher, de lui parler. Ça ne va mener à rien de bon et autant qu’il ne peut qu’être heureux de sentir à nouveau ses yeux sur lui, qu’elle le regarde lui comme elle a pu le faire autrefois. Il rêve de l’entendre prononcer son nom à nouveau aussi, comme dans les rêves qu’il fait toutes les nuits. Mais tout ça, ne peut que mal se terminer, que donner encore plus de douleur, et si elle apprenait la vérité ? Mais il hausse les épaules, Polar. Quelle vérité pourrait-elle apprendre ? Elle a tout oublié.

Elle relève les yeux vers lui et il a son estomac qui se tord, son coeur qui veut exploser dans sa poitrine, parce qu’elle est tellement belle, belle à en crever, belle à se fracasser et à tout gâcher. Belle à ne pas respecter ses promesses et à la trahir, Lucy, trahir ce qu’elle lui a demandé avant de disparaître. « Merci… » Elle murmure, et il ne peut pas arrêter de lui sourire. Cette voix qui le projette dans le passé. Tellement la même, et pourtant plus la même, pas les mêmes intonations, une timidité nouvelle. C’est parce que ce n’est pas à Lucy que tu parles, pas vraiment. « Je ne sais dessiner que cette tour… » Et ça lui retourne l’estomac, de comprendre qu’elle n’a pas tout oublier, qu’il reste des fragments, Poudlard du moins, peut-être moi, aussi ?

Arrête, Polar.
Lucy est partie.

« Comment… ? Comment savez-vous, pour cette fenêtre… ? » Elle n’a pas peur de le regarder, lui. Pas peur de le détailler, alors que lui ose à peine la regarder. Un peu par peur d’y trouver le regard de celle qui rencontre un étranger. Alors qu’on s’est aimés tellement fort, toi et moi. « J’ai eu beau chercher… » Et il sourit doucement, Polar. Le petit sourire au coin des lèvres, qu’il n’ose pas complètement assumer. Le souvenir de Poudlard, pas totalement effacé, toujours quelque part dans un coin de sa tête. Poudlard et ses belles tours, Poudlard et l’innocence de l’enfance, Poudlard et tous ces souvenirs qu’ils ont pu partager. Il se souvient, Polar, des premiers regards et des premiers baisers, des beaux moments et des moins beaux. On était bien, à Poudlard. Et il hésite à lui dire tout ça, à lui rappeler tout ça, à la ramener vers lui, j’ai besoin de toi, moi, pourquoi tu es partie ? Et moi, dans tout ça ?

Ne sois pas aussi égoïste, Polar.

« C’est un château en Écosse. » Il répond simplement, en s’approchant un peu. Désigne le dessin d’une main un peu tremblante, sans le réaliser. « Je reconnais l’architecture. » Il s’autorise à la regarder un peu, les éclats dorés dans ses yeux, et les cheveux soyeux. « Peut-être l’avez-vous vu en photo, et il est resté dans votre tête. » Ça arrive, après tout. Car ça ne serait pas juste de lui enlever ce qu’elle a tant désiré, une nouvelle vie, une nouvelle identité. Il se demande si elle est plus heureuse à présent, si elle est moins écrasée par ces nuages qui ont pu la rendre tellement malheureuses. « Peut-être que vous pourriez essayer de continuer votre dessin. Voir si le reste vous vient. L’inventer, s’il le faut. » Et il désigne le banc sur lequel elle est installée, le coeur serré. « Je peux m’assoir ? » Le sourire timide toujours aux lèvres, et le regard un peu fuyant. « Je m’appelle Polar. Et vous ? »