// helpless (polar)

Sur le pavé de la rue, ses pas saccadés filent dans la nuit. L'air est lourd, son souffle, court. Au loin l'orage gronde et la sorcière accélère encore un peu le pas. Le hiboux était arrivé dans l'après-midi, à la surprise d'Elsie. Une lettre courte, une écriture familière. Son cœur s'était emballé au moment où elle avait compris, et il ne s'était pas calmé depuis. Son mari serait libéré d’Azkabhan avec six mois d'avance. Six mois volés. La belle qui pensait pouvoir en profiter encore un peu plus venait de se faire dérober de précieux moments de liberté. Un comble. La plupart des épouses seraient ravies de retrouver leur cher et tendre avec de l’avance. Mais pour la sorcière, c’était une lourde sentence. Prise de panique, Elspeth était partie. Ravalant ses larmes, et calmant ses tremblements, elle avait ordonné à Maelys de veiller sur son frère, ignorant les plaintes de sa fille avant de sortir en trombe du manoir Rosier. Dans son dos, la porte avait claqué, et elle avait eu juste le temps de transplaner avant que ses genoux ne se dérobent et que les larmes l’emportent, coulant comme deux torrents sur ses joues rouges de rage.

Comment avait-elle pu être si naïve ? Comment avait-elle pu prendre goût à cette liberté ? A chaque pas martelé sur le bitume de la route, Elsie se pose les même questions. Elle avance, la tête basse et les yeux encore rouge. Aucune date n’avait encore été convenue, mais la sortie d’Ellis était imminente. Alors qu’elle continue sa course dans les rues du Londres sorcier, l’électricité presque palpable dans l’air orageux, la Rosier encaisse le coup et dresse le bilan. Elle possède deux choix : attendre sagement son mari, et reprendre sa place dans sa cage dorée, ou se battre. Pour la première fois dans sa vie, ce choix lui traversait l’esprit. Elle qui n’avait rien fait en grandissant à l’écart, elle qui n’avait pas bronché à l’annonce de son mariage forcé. Elle qui avait subit, durant des années, la compagnie et la tyrannie de son mari. Jamais elle n’avait osé, jamais elle n’y avait même pensé, de se rebeller. Mais après sept années à goûter à la douce saveur de l’émancipation, Elspeth avait au moins envie d’essayer. De se battre. De gagner.

C’était sans réfléchir qu’elle avait fuit la maison, un but bien précis en tête. Et selon la carte, crispée entre ses doigts nerveux, elle était arrivée. Devant elle, une enseigne. The Blue Frog. Elsie inspire, profondément, et pousse la porte d’une main tremblante. Elle ignore si c’est la bonne adresse, et elle ignore si l’homme qu’elle cherchait serait présent. Mais pour Allen, et pour Maelys, elle devait essayer. Pour elle, aussi. La Rosier pénètre dans le bar, le regard fuyant. Son coeur bat si fort contre sa poitrine qu’elle jure que tout le monde peut l’entendre. Elle s’avance, doucement, maladroitement, vers le bar où un jeune homme fait office de barman. Elsie hésite, puis prend place sur l’un des tabourets hauts. « Bonjour, je … Je cherche Polar Machen. » Sa voix tremblote, mais elle se reprend. « Je suis Elspeth Rosier. Un vieil ami m’a parlé de lui, il y a quelques années. »

@elspeth rosier
- - - - - - - - - - - - -

Soirée tranquille, pour une fois. Juste la douce cacophonie du Blue Frog pour le bercer, les sons tellement familiers qu’il ne les entend plus. La frénésie est passée, le match de Quidditch était la veille et à présent les âmes se reposent dans le confort des foyers. Ce soir, y’a que les braves et les solitaires qui se pointent le bout du nez, qui cherche un peu de chaleur contre le ciel orageux qui menace de faire tomber une pluie glaciale sur Londres. Les capes sont lourdes et humides, séchées d’un coup de baguette, et les pintes ne descendent pas si rapidement. Un peu de musique qui passe, et Polar est fidèle derrière son comptoir. Suffisamment tranquille pour se pencher un peu sur la paperasse accumulée, y’a Tommy qui s’occupe des quelques clients qui attirent son attention d’un signe de la main. Il soupire, Polar, mais il a l’esprit relativement tranquille. Le fleuve sans trop de vagues, et le ciel sans trop de nuages pour ce soir.

Quand la porte d’entrée s’ouvre pour laisser passer la dernière âme égarée en quête d’un toit, Polar ne relève pas les yeux. Penché sur la paperasse, l’esprit un peu ailleurs, qui ne lit qu’à moitié les nombres écrits à l’encre sur le parchemin, y’a toujours une partie de son esprit qui est orientée vers le passé, c’est plus fort que lui. Les cheveux soyeux de Lucy dans un coin de sa tête, c’est presque inconscient mais c’est là. « Bonjour, je… Je cherche Polar Machen. » La voix est faible, à quelques tabourets de là. Seulement à moitié assumée, et elle émane de lèvres discrètes. Le nom qui fait relever la tête de Polar, interpellé par la mention de son nom. Pose un regard sur la silhouette qui vient de s’échouer au comptoir, sur ses boucles foncées et son teint de porcelaine. Il ne lui semble pas la connaître, et pourtant y’a quelque chose qui lui murmure qu’elle n’est pas une étrangère. « Je suis Elspeth Rosier. Un vieil ami m’a parlé de lui, il y a quelques années. » Ce nom, il le connaît. Pas juste le Rosier, qui respire encore la guerre même des années après la défaite. Ça lui revient et il se redresse un peu. Dépose sa paperasse et s’approche. « C’est bon, Tommy. » Qu’il lui dit avec un sourire. Signe de tête, pour lui montrer qu’il n’avait pas besoin de rester. Et sans plus attendre, il se tourne vers la brune, l’observant tranquillement. « Je ne m’attendais pas à ce qu’on se rencontre un jour. » Après tout, ça n’avait été que des noms échangés, dans le souffle de la guerre. « Enchanté. » Il lui tend la main, à la belle, par politesse et par respect. « Qu’est-ce qui vous emmène dans le coin ? » Après tout, elle doit avoir une raison d’être là, après tout ce temps. Et il ne peut s’empêcher de constater la ride soucieuse sur son front, la noirceur dans ton regard.

Sous ses yeux, une scène si peu familière. Quelques âmes égarées, assises nonchalamment sur les tabourets le regard dans le vide. Un léger brouhaha et une indifférence rassurante, alors qu’elle pénètre dans le bar sans réellement soulever de regards. Elle aurait aimé, dans une autre vie, être l’une de ces silhouettes anonymes, bercées par les conversations lancinantes. Le bruit des bouteilles qu’on pose et qu’on reprend, le choc des verres qui trinquent, de la musique, noyée par tous ces autres bruits ; une chanson inconnue qui pourtant l’attire sans trop savoir pourquoi. Au manoir, rien de cela. Dans sa gorge, la douce brulure de l’alcool accompagnait ses soirées solitaires. Seule, oubliée. Prisonnière. Elle se noyait dans le whisky pur feu, oubliant gorgée après gorgée la peine qui la rongeait. Et même avec la fin de la guerre, et sa liberté retrouvée, Elsie n’a jamais trop osée. Etrangère dans ces lieux, faute de bonne compagnie, la sorcière n’avait jamais réellement eu le courage de s’asseoir et de s’abandonner dans un tel établissement. Mais aujourd’hui, pas le choix.

Elle s’approche, maladroite. Elsie tremble, de peur ou d’excitation, elle ne sait pas. Mais elle tente  dans tous les cas de le cacher. Ses mots s’emmêlent, mais elle arrive finalement à prononcer le prénom de celui qu’elle est venue chercher, sans vraiment savoir si l’intéressé était présent ce soir, ou même si il était encore propriétaire des lieux. Saut de l’ange pour la belle, qui en venant trouver refuge ici avait fait preuve d’une impulsivité qu’elle ne se connaissait pas. Et sous le regard incrédule du barman qui cherche sa réponse, la belle commence à regretter sa folie. Peut-être aurait-elle dû prendre du recul, prendre le temps de réfléchir. Et alors qu’elle s’apprête à sauter sur ses pieds et à prendre la fuite, une silhouette se détache de l’ombre et s’approche vers elle. « C’est bon, Tommy. » Interpellé, Elspeth reste muette. Prise au dépourvue, comme si ce n’était pas elle qui avait tout ce chemin pour le rencontrer. Polar. Les mots s’échappent de la bouche du Machen et elle reste muette. Sans réellement avoir de plan, la belle n’avait pas prévu d’aller si loin dans ce qu’elle préparait. « Enchanté. » Le sorcier lui tend sa main. Les grands yeux bleus d’Elsie trahissent sa surprise, regardant la main, puis le visage de celui qui la tend. Elle doit se ressaisir. La sorcière cligne une fois, puis deux fois des yeux, avant de saisir la main de son interlocuteur. « De même. Ravie de vous rencontrer Mr. Machen. » souffle-t-elle, la voix encore tremblante, mais déterminée à reprendre le dessus sur la panique. « Qu’est-ce qui vous emmène dans le coin ? » Elsie se redresse, et s’installe un peu plus confortablement sur son siège. Si elle avait réussit à arriver ici, elle ne pouvait plus reculer. Pour Allen, et inévitablement, pour Maelys, même si elle ne voulait rien entendre. « Et bien, la soif. Pour commencer. Est-ce que je peux vous demander un whisky, s’il vous plait ? » Bonne ou mauvaise idée, la belle avait décider de chercher un peu de courage dans l’or mielleux de sa boisson favorite. « Et ensuite … » Elsie marque une pause, le regard soucieux et la boule au ventre. « J’ai un service à vous demander. »