above the cloud (polar)

Toujours la journée de la veille, Antigone avait hésité à aller voir Polar. Pour elle, la journée avait été presque banale au fond mais pas pour lui. De fait, le triste anniversaire avait aussi hanté ses propres pensées. Lucy... à la fois la meilleure et la pire chose qui soit arrivée à Polar. Antigone l’avait vu heureux comme jamais et puis malheureux comme les pierres. Et elle détestait ça la petite sœur. Voir son grand frère fragilisé comme ça. Mais hier, elle n’avait pas osé, elle s’était dit qu’il n’accepterait peut-être pas sa présence. Après tout, c’était la journée. Alors elle avait attendu Antigone, laissé passer la journée, en avait profité pour peindre un peu -vraiment un peu-, cuisiner quelque chose pour le lendemain. Pas un vrai plat, juste un dessert tout simple, un marbré. Elle ne savait pas si ça lui plairait mais elle l’espérait. Ainsi la journée était passée et puis la nuit. Dès le réveil, elle s’était affairée à emballer le marbré, à faire un café à réveiller les morts. Contrairement à beaucoup d’anglais, le thé n’était vraiment pas son fort. Prête, Antigone avait appelé le Magicobus pour débarquer chez son frère. C’est qu’elle n’aimait pas transplaner sans raison et qu’elle détestait retirer les cendres de ses vêtements après un voyage par cheminette. Les sorciers auraient pu trouver mieux depuis le temps comme transport. À méditer.

L’index replié tapote la porte. Rien. « Humpf. » Un peu trop discret sans doute. Alors Antigone tape un peu plus fort. « Lala ? C’est Tigo ! » Très adulte oui mais impossible de se tromper sur la personne qui ose user d’un tel surnom pour Polar. Au moins ne l’utilisait-elle pas quand elle allait au Blue Frog écouter les matchs de Quidditch. Pas de doute que les habitués se seraient payé sa tête. Quoi qu’il ne les aurait pas laissé faire. « J’ai du marbré et du café ! » Est-ce que ça marcherait ?

Tout ce qu’elle espérait c’était que Polar était là. Elle n’avait pas pensé à l’appeler par cheminette avant pour s’en assurer et de toute façon, il l’aurait fait passer par là. Non merci. Il n’était certes pas impossible de laisser le marbré, le café et la petite toile devant la porte mais elle n’aimait pas l’idée. C’était trop personnel à ses yeux même si ce n’était pas grand-chose. S’il n’était pas derrière le comptoir cela dit, elle le voyait mal dehors. Donc, il était forcément là, pas vrai ? Elle savait qu’il était casanier, loin d’être un grand sociable mais il ne fallait qu’une seule décision pour qu’elle ait l’air idiote avec son sac et ses petits cadeaux pour le détourner de la morne journée de la veille.

Le moral dans le fond de la poitrine. À errer un peu, sans trouver la motivation de se bouger. Pas de boulot ce soir, c’est congé. Il fait confiance aux autres pour gérer, de toute façon à ce temps-ci de l’année il ne sert pas à grand-chose. Et si y’a quoi que ce soit qui va pas, il a qu’à descendre une volée d’escaliers. Il peut entendre la musique sous ses pieds, bruit ambiant auquel il est habitué. Et ça le rassure, à quelque part, de savoir que juste en bas, y’a une foule dans laquelle il peut aller se perdre. Ça le fait sentir moins seul, dans le silence de son appartement. Un soupir qui passe ses lèvres, alors qu’il referme son bouquin. Pas capable de se concentrer, ça ne sert à rien ce soir. Il a été seul toute la journée, à broyer du noir, à essayer de se convaincre de ne pas prendre le passage pour aller voir Lucy, juste la regarder, de loin, juste s’assurer qu’elle va bien. Il serait seul ce soir aussi, peut-être que c’était pas une bonne idée, mais en même temps il n’était pas certain de vouloir voir du monde. Il se passe la main sur le visage, Polar, se redresse et va à la fenêtre pour regarder Londres qui s’étend au-delà, ses bâtiments et ses citoyens, ça va et ça vient. Un bail qu’il ne s’est pas senti à part entière du monde, comme s’il existait en parallèle.

Il sursaute, en entendant des coups à sa porte. Ça lui prend un moment à enregistrer et il relève la tête, intrigué. Pas certain de vouloir aller répondre même s’il sait que ça doit être important, qu’il le devrait. Mais tout de même, c’est peut-être un de ses employés, un client compliqué, un imprévu et il devrait aller bosser. Sauf qu’alors qu’il va pour bouger, il reconnaît la voix de sa soeur de l’autre côté de la porte. « Lala ? C’est Tigo ! » Et les surnoms ont le mérite de faire naître un sourire sur ses lèvres, alors qu’il fait glisser ses pieds jusqu’à la porte. « J’ai du marbré et du café ! » Il a pas envie de parler, Polar, mais c’est différent avec Antigone. Alors il ouvre la porte, sachant très bien qu’il est sûrement pas du monde, avec ses cernes et son pull troué, mais Antigone elle a du le voir dans des pires états. « Hey. Je t’attendais pas. » Mais c’est pas accusateur, c’est juste une constatation. Elle lui fait au baume au coeur, il doit bien l’avouer, elle est belle avec ses yeux pétillants et sa voix qui lui rappelle leur enfance. « Entre. » Il lui ouvre la porte assez grand pour qu’elle passe, et la referme derrière elle. Dissimulant un baillement, il croise les bras pour la regarder. « Fais comme chez toi. Qu’est-ce qui t’emmène dans le coin ? » Après tout, il ne se souvenait pas qu’ils avaient quelque chose de prévu tous les deux. « J’ai pas oublié qu’on devait se voir, si ? » Si c’est le cas, j’suis désolé, soeurette.

Tu sais que j’suis pas moi-même, ces temps-ci.

Laisser ruminer Polar ne l’ennuyait pas le jour J mais ce n’était plus ce fameux jour donc, Antigone ne pouvait pas le laisser ruminer ses idées noires en toute bonne conscience. Au début, elle avait cru qu’il s’en remettrait au fur et à mesure mais ça n’était jamais vraiment arrivé. Et Antigone avait alors compris que Polar était bien pire qu’elle sous certains aspects. Elle était un peu idiote d’espérer une belle histoire, quelque chose de profond. Elle le savait bien que ça n’existait pas. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’espérer pour souffrir bêtement à chaque fois. Sauf que voilà. Polar l’avait eu ça et il l’avait perdu et c’était encore plus douloureux pour lui et pour elle aussi, autrement. Antigone n’aimait pas voir souffrir son grand frère comme ça et elle ne pouvait pas faire grand-chose pour l’aider sinon être là à chaque fois, chaque année, à cette période maudite.

Quand la porte s’ouvre finalement, elle est soulagée Antigone. Polar est là. Pas en forme, elle s’en doutait mais il est là. C’est déjà ça, elle n’est pas venue pour rien. Bien sûr, elle n’est pas surprise par sa déclaration. À vrai dire, elle est rarement là où on l’attend. C’est qu’elle aime jouer les imprévisibles bien qu’elle le soit totalement, prévisible. « T’en fais pas. » Et elle entre enfin, sortant sa baguette pour sortir deux tasses, une planche à pain et un couteau. « Livraison de café et de marbré. J’me suis dis que ça te ferait plaisir. Puis en plus je m’ennuyais. » Vrai faux mensonge pour la bonne cause. Ne surtout pas aborder le sujet malheureux. L’éviter à tout prix même. Quoi qu’il en coûte, même si pour ça, elle doit inventer des tas d’histoires idiotes. « J’voulais aussi t’apporter un petit tableau que j’ai fini pour toi. Tu peux l’accrocher chez toi, au bar, le vendre, le jeter, comme tu veux quoi. » Elle préférerait qu’il le garde mais elle ne lui en voudrait jamais, quelque soit sa décision. Baguette levée, couteau planté dans le marbré sorti, Antigone arrête tout pour regarder Polar et hausser un sourcil ? « Hu ? Oh non. Non j’crois pas. Ou alors j’ai oublié aussi. J’aurais pu t’appeler mais j’avais pas envie de passer par la cheminée. Tu sais que j’aime pas ça. » Trop sale. « On pourrait penser que nous, grands et puissants sorciers, aurait inventé un mode de déplacement de proximité moins salissant mais non. Qui aime être recouvert de suie ? Sérieusement. C’est débile. » Et la revoilà avec sa complainte sur le sujet. Ça ne datait pas d’hier et elle avait même tenté de chercher sur le sujet mais c’était clairement incompatible avec le temps qu’elle passait en atelier ou en intervention sur commande. Elle était toujours pleine d’idées Antigone mais à chaque fois, l’art et l’art magique finissaient pas reprendre le dessus quoi qu’il arrive.

Finalement, Antigone termina de couper le marbré et servir le café pour sortir le petit tableau. Et il était vraiment pas très grand ce tableau. Un petit carré animé de Londres la nuit, la vue depuis leur jardin quand ils étaient plus jeunes. Elle s’était dit que ça permettrait peut-être à Polar de sourire un peu plus. « Ce qui est génial, j’me suis surpassée j’te jure, c’est que tu peux voir l’arrière de la maison si t’appuies avec ta baguette dans le coin droit. Il reconnait que les baguettes de la famille. » Et quand ce fameux coin était déclenché, leurs parents étaient installés tranquillement dans le jardin, à les regarder avec leur éternel air bienveillant. « C’est trop hein ? » Et elle a comme un doute Antigone. Elle en a peut-être fait trop. Alors elle se mâchouille la lèvre, un peu anxieuse.

« T’en fais pas. » Elle a ce sourire rassurant, Antigone. Cette manière de rayonner en toute discrétion, et d’apaiser ses maux. Il avait toujours pris soin de sa petite soeur, Polar, il n’aurait jamais cru que les rôles auraient à s’inverser un jour. Et pourtant ils étaient là tous les deux, elle qui débarque chez lui avec du réconfort en boîte, et un sourire pour panser les blessures trop vives. Et c’était une belle surprise, même si une part de lui voulait juste s’enrouler dans une couverture et ne penser à rien. Un peu de compagnie lui ferait le plus grand bien pour chasser les idées noires. Elle fait comme chez elle, Antigone, et Polar la laisse faire. Le regarde, avec un léger sourire que seule sa petite soeur aurait pu réussir à lui tirer. « C’est gentil. » Qu’il lui répond simplement, en la laissant sortir le nécessaire pour grignoter. Et à la vue de la nourriture, il sent son ventre grogner, et réalise qu’il a à peine mangé de la journée. Voilà pourquoi t’as besoin des autres parfois, Polar. Tu t’oublies trop toi-même. C’était la même chose avec Lucy. Tellement concentré sur elle, il s’oubliait trop souvent. « J’voulais aussi t’apporter un petit tableau que j’ai fini pour toi. Tu peux l’accrocher chez toi, au bar, le vendre, le jeter, comme tu veux quoi. » Et il secoue la tête devant le déboulement de ses propositions, et ça lui arrache un sourire encore plus grand. « Dis pas de bêtises. Tu sais bien que je vais lui trouver une place. » Il avait toujours admiré le côté artistique de sa petite soeur, lui qui n’était franchement pas très créatif dans sa vie. Il fallait croire que la fibre avait sauté un membre de la fratrie, mais ça ne le gênait pas plus que ça.

Et elle continue, Antigone. Il ne peut plus l’arrêter, alors qu’elle se mets à déblatérer sur le réseau des cheminées, et Polar l’écoute tranquillement en venant se poser au comptoir de sa cuisine à ses côtés. Appartement auquel il peinait encore à s’habituer, il devait bien l’avouer. « Complètement débile. » Il n’apporte pas grand-chose, il le sait. Pas très coopératif. Mais la boule dans le fond de son estomac ne veut pas disparaître, et le nuage noir au-dessus de sa tête non plus. Il se redresse un peu quand elle sort le tableau, admirant le paysage qu’elle a peint. Son coeur qui se serre, en reconnaissant la vue. Trop familière pour ne pas être reconnue. « Ce qui est génial, j’me suis surpassée j’te jure, c’est que tu peux voir l’arrière de la maison si t’appuies avec ta baguette dans le coin droit. Il reconnaît que les baguettes de la famille. » Un regard surpris vers sa soeur, alors qu’il observe le tableau. « C’est trop hein ? » Et il déglutit, Polar. Difficile pour lui de trouver les mots, avec l’esprit aussi ramolli, et le moral à son plus bas. Mais les efforts de sa soeur, il les voit, il les ressent. Alors il lui sourit, du mieux qu’il le peut. « Pas du tout. » Le regard qui l’enveloppe, et la fierté qui pétille dans ses yeux. Y’a si peu de temps, t’étais encore une enfant. Comment t’as grandi aussi vite ? « C’est magnifique. Je suis vraiment très touché. Je l’adore. Merci beaucoup. » La voix un peu nouée. Trop émotif pour ce genre de scène, certainement. Il se racle la gorge, et attrape la tableau d’entre ses doigts. « Je vais lui trouver une belle place. Le garder près de moi. » Et il s’empresse de déposer le tableau près de la porte de sa chambre. Il restera là. Pour lui. Quand la mélancolie sera trop forte. « Tu me gâtes, et moi je n’ai rien pour toi. Ça ne va pas du tout. » Et il s’approche de sa petite soeur, à nouveau, pour lui faire un bref câlin. La serrer contre lui un peu, pour la remercier. « Et toi, comment tu vas ?  » Il n’a pas trop envie de parler de lui, pour le moment. Plus le désir de prendre des nouvelles de sa petite soeur.

C’est gentil qu’il dit Polar... Bien sûr que c’est ce qu’il dit. Antigone sait qu’il va mal, qu’il pense à Lucy, qu’elle hante ses pensées à cette période chaque année depuis que c’est arrivé. Chaque année, elle ignore comment faire pour que Polar aille mieux et c’est de plus en plus dur de le voir dans cet état. Alors elle trouve un prétexte par-ci, une idée par-là pour veiller sur lui comme il a veillé sur elle et comme il veille encore. Et le café, le marbré, le tableau, ce sont des prétextes qui tombent bien. C’est sûr qu’Antigone ne comptait pas lui offrir ce tableau à cette période à l’origine mais, elle l’avait fini plus tôt que prévu, alors pourquoi pas lui donner ? Une manière de lui remonter le moral, de lui dire que la famille comptera toujours plus que tout le reste et qu’ils seront toujours là. Peut-être un peu maudit en amour les Machen mais ils peuvent être heureux quand même. « Je sais mais j’veux pas que tu te sembles obligé. » Parce qu’Antigone sait qu’elle a encore des progrès à faire, perfectionniste jusqu’au bout des ongles et de la baguette, donc peut-être que son frère ne veut pas s’encombrer d’une œuvre qui pourrait ne pas être bonne. En attendant, ce qu’elle a retenu, c’est le grondement du ventre de Polar qu’elle a entendu de là où elle était. « T’as pas mangé. » Simple constatation qui n’appelle aucune réponse. Alors encore une fois, elle fait comme chez elle Antigone et fouille dans les placards en parlant de cette histoire de cheminette qui la dépasse encore. Le tout avant de se souvenir qu’elle a un tableau à offrir. Donc elle le lui confie et repart dans une logorrhée verbale dont elle a le secret.

« T’es sûr ? » C’était peut-être trop. Mais elle en avait fait trop parce que c’était chez eux et parfois on a besoin de se sentir à la maison même ailleurs. « J’voulais te l’offrir plus tard, puis j’me suis dit que plus tard ou maintenant... » Maintenant était mieux. Et pour une fois Antigone s’arrête parce qu’elle ressent un peu l’émotion de son grand frère qui s’empresse d’aller poser le tableau près de la chambre, où il trouvera sûrement sa place. Elle fait la moue Antigone, hausse les épaules. « C’est faux. T’es là. C’est suffisant. » Tout d’un coup, elle redevient la petite sœur dans ce câlin et elle l’empêche de repartir tout de suite. Elle a besoin de ça Antigone. Avide de contact, avide de chaleur humaine comme elle l’a toujours été. Une avidité qui lui a si souvent joué des tours sans qu’elle en retienne véritablement une leçon.

Enfin, Antigone le laisse filer et retourne s’occuper de fouiller dans les placards, un peu gênée par cette retombée en enfance soudaine, ce nécessité impérieuse d’être proche des autres. « Tout va bien. » Mais tout va toujours bien pour toi Antigone, pas vrai ? Sauf qu’on sait que c’est rarement vrai. « J’ai eu un contrat sympa aux États-Unis, j’ai même eu une commande originale. Ce sera mon œuvre, mes enchantements, mes sorts. Je décolle plus là-bas qu’ici. Faut croire qu’ils sont plus ouverts que chez nous mais je n’partirai pas. Han han. » Rien de nouveau et Antigone savait parfaitement face à quel genre de murs elle allait foncer pour prouver sa valeur en Angleterre. Pourtant elle choisissait de rester là. Têtue comme une mule, à se battre contre des idées, des traditions et des croyances qui les faisaient, à son sens, pourrir sur pieds. « J’leur prouverai à tous. Tu verras. » Pour un peu, elle aurait pu aussi bien avoir sa place à serpentard que serdaigle, même si le choixpeau avait plus hésité avec poufsouffle qu’autre chose. « Tu veux manger quoi ? » Non, elle ne perdait certainement pas de vue que Polar n’avait pas mangé.